La douleur et l’Espèce humaine

L’Espèce humaine de Robert Antelme
et
La douleur de Marguerite Duras

Certaines œuvres se répondent sans se connaître. Elles partagent des personnages, une histoire commune, mais s’ignorent. L’espèce humaine et La douleur, sont de ces œuvres-là.

Robert Antelme et Marguerite Duras ont commencé à construire une vie à deux : un mariage, un travail dans une maison d’édition, un enfant mort-né, puis la guerre, la résistance et pour finir l’arrestation de Robert et sa déportation à Buchenwald.

COMMANDER

Robert Antelme racontera son expérience de la déportation dans le sublime l’Espèce humaine. Sûrement l’un des récits sur le sujet qui se tient le mieux, tant par son humilité que par son humanité. L’auteur ne cherche jamais à généraliser son expérience comme le reprocha Primo Lévy à Bruno Bettelheim, ni à accabler les SS qui partageaient avec lui le même univers concentrationnaire.

COMMANDER

La douleur de Marguerite Duras regroupe des notes et cahiers écrits (puis largement remaniés semble-t-il) pendant la guerre, dans le milieu résistant où elle séduit un collaborateur avant de le faire condamner à la libération. Son activité de résistante la fera participer à la torture d’un autre collaborateur français, puis à son retour des camps elle accueillera Robert , le soignera puis lui annoncera qu’elle a refait sa vie avec un de leurs amis communs (D. qui se trouve être dans la réalité Dionys Mascolo).

Si les deux récits sont pensés et écrits loin l’un de l’autre, en revanche leurs thèmes ne sont pas étrangers.

Pas de saint – Un beau passage de l’Espèce humaine décrit cet homme dont ni sa famille ni ses proches ne sauront un jour à quel point il était un saint, pour la seule et unique raison qu’il ne se battait plus pour ce petit supplément de nourriture, ce qui le condamnait à brève échéance. Le but est toujours d’obtenir plus que ce à quoi on a droit, la vie du prisonnier en dépend. Pendant ce temps les français sous l’Occupation se livrent à une autre échelle au même jeu. On rêve d’obtenir des produits au marché noir, on se laisse séduire par le collaborateur qui vous invite au restaurant, on tente d’en tirer des avantages.

Le groupe – C’est la résistance qui pousse Marguerite Duras dans les bras d’un collaborateur pour obtenir des informations. L’une des figures de ce réseau n’est autre que Morland alias François Mitterrand. C’est dans ce réseau que Marguerite se sent protégée, épaulée, mise à l’épreuve avant de prendre des responsabilités et de diriger un interrogatoire qui mènera à la torture. À la libération, Marguerite reprochera à De Gaulle le peu de considération qu’il avait pour le peuple français. Il décrétera ainsi une journée de deuil à la mort de Churchill, chose qu’il n’a jamais faite pour les français morts pendant la guerre. Pour Marguerite, De Gaulle a pris soin de la France et l’idée qu’il s’en faisait avant de prendre soin des français. Même chose dans un camp, où Robert apprend à survivre grâce à l’apprentissage des codes du groupe. La concurrence dans la survie est vive, les kapos parviennent parfois à fissurer le groupe et les solidarités naissantes. On meurt seul, mais on parvient tout de même à survivre ensemble.

La torture – Le bourreau et la victime, Marguerite Duras et Robert Antelme. Marguerite fait pleuvoir les coups sur un homme pour poser une question dont qu’elle connaissait déjà la réponse : l’homme était un collaborateur. Robert reçoit les coups des gardes du camp, juste pour qu’il se rappelle ce qu’il n’oubliait pas : il était un prisonnier sans aucun droit.

Bonus audio : entretien entre Monique Antelme, dernière épouse de Robert et Laure Adler. Monique raconte les relations du trio Robert, Marguerite, Dyonis. Elle doute également que Marguerite ait écrit ses cahiers pendant la guerre. Robert semble lui en avoir beaucoup voulu de les voir publiés.

photo :Kiss of Death Mobile de Tim Noble

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *