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Introduction – Le manque de réaction de nos sociétés face à la dégradation économique peut être imputé au niveau élevé de confort sur lequel nous reposons.
La génération précédente semblait avoir trouvé toutes les solutions : plein emploi, hausse du niveau de vie, apogée du keynésianisme, paix sur le continent.
Aujourd’hui, sans vouloir adopter un discours gauchiste contre l’élite – elle prend en charge l’intérêt des milieux populaires dans une démocratie -, le comportement de nos dirigeants en pleine crise paraît ahurissant : ils paraissent incapables de considérer les événements dans une perspective historique.
Sauver l’euro reste leur obsession : alors que le rôle d’une monnaie est de servir l’activité économique, aujourd’hui c’est l’activité économique qui est chargée de sauver l’euro.
Qu’est-ce qui explique cette incompétence ? 1 – leur rapport à l’économie 2 – déficit de formation en sciences sociales qui permettent d’appréhender les dynamiques des sociétés.
1- Conceptions économiques des élites –
L’illusion économique aide à comprendre le mécanisme de libre-échange. Si les effets sont d’abord positifs (mise en commun des structures, spécialisation technique de territoires), sur le long terme l’effet de la concurrence entraîne l’insuffisance tendancielle de la demande. Dans les années 90, la demande effective avait disparu des manuels d’économie, cet acquis fondamental du keynésianisme était passé à la trappe. Le deuxième effet est une montée des inégalités qui s’ajustent au niveau d’inégalité mondial.
La relance de 2007 réalisée dans ces mêmes conditions de libre-échange n’a fait que provoquer une hausse des délocalisations et une baisse des salaires, seul le CAC40 en a profité. La seule réponse apportée aujourd’hui est l’austérité – ce protectionnisme des imbéciles – qui entraîne la rétractation du marché.
Pourtant, il n’y aura pas de relance sans protectionnisme à l’échelle européenne : soit on conduit une politique de relance qui profite en premier lieu à la Chine, soit l’austérité accroît la crise mondiale.
Ceux qui conduisent ces politiques n’en souffrent pas : il s’agit moins d’incompétence que d’aveuglement ou d’intérêt. Cependant ceux qui profitent de cette crise sont de moins en moins nombreux. Si autrefois 20% en bénéficiaient, aujourd’hui ils ne sont plus que 1% voire 0,1%. Il ne s’agit pas de penser dans un marxisme vulgaire qu’ « ils s’en mettent plein les poches » mais plutôt dans un marxisme plus évolué qu’il est douloureux de penser contre ce qui est en place.
2 – Manque de compétences historiques des élites –
La culture intellectuelle moderne donne la prime à l’économie. Pour l’homo economicus, comprendre l’Homme, c’est comprendre l’économie.
L’Europe est devenue le centre de ce délire économique et un vrai problème pour le monde. Les États-Unis ne sont pas les plus en danger : sans pour autant être sortis de la crise, des idées de gauche y renaissent pour éviter la contraction. Paradoxalement c’est le risque de dépression à l’échelle mondiale qui montre l’importance de l’Europe.
Au moment de la création de l’euro, Emmanuel Todd sort de l’écriture de deux essais :
L’invention de l’Europe étudie en profondeur les structures familiales et les histoires nationales qui lui sont étroitement liées. La diversité anthropologique de l’Europe fait apparaître l’abîme qui sépare chaque culture.
Le destin des immigrés confirme que ces différences anthropologiques ont perduré jusqu’à aujourd’hui.
Les taux de mariage des couples mixtes sont beaucoup plus élevés en France qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne, de même que le taux de natalité allemand est beaucoup plus bas que dans le reste de l’Europe.
Les européens ont des modes de vie encore très différents.
Au regard de ces différences anthropologiques, Emmanuel Todd a l’intuition qu’une monnaie unique à l’échelle du continent ne peut pas fonctionner. L’euro ne peut que créer une jungle, pas une société commune.
L’homo economicus est une invention du monde anglo-saxon qui est incapable de percevoir ces différences culturelles, puisque l’homme est réduit à sa dimension économique.
Alors qu’un cadre monétaire appelle un phénomène de convergence, les différences culturelles engendrent des divergences économiques. Ainsi le modèle capitaliste anglo-saxon individualiste appelle court-termisme, tertiarisation et financiarisation de l’économie. À l’opposé les valeurs de la famille souche allemande privilégient la transmission des connaissances, les compétences technologiques et le contrôle des marchés. Ces deux capitalismes renforcent encore leurs différences économiques avec la monnaie unique : les excédents commerciaux de l’Allemagne s’envolent et le reste de l’Europe se désindustrialise. La France serait coupable d’un péché d’orgueil si elle se pensait capable de contrer seule les tentations hégémoniques de l’Allemagne.
À présent toute tentative de régularisation ne peut qu’aggraver ces phénomènes de divergence et la remontée des antagonismes entre européens. Nous ne sommes pas dans un monde déchiré, mais ce risque existe à long terme.
[ Autres articles en rapport avec Emmanuel Todd :
Quand Emmanuel Todd prédisait qu’on ne parlerait plus du FN après 2012
Le modèle allemand (inégalitaire) et la famille souche
La famille communautaire, à la scène et à l’essai ]
Les conférences d’Emmanuel Todd reprennent pour l’essentiel ce discours, cependant il n’est pas inutile de l’entendre affiner et préciser ses pensées face à ses contradicteurs (en particulier au sujet de l’Allemagne) –