Il y a un génie de l’édition comme il y a un génie des Lettres. Quand on n’a pas le second, le premier est bien utile.
Le dernier Houellebecq est sans doute son roman le moins inspiré, mais assurément l’un des mieux vendus, y compris au-delà de nos frontières, l’Italie et l’Allemagne affichent de surprenants chiffres de ventes. En France le succès du roman a largement été le résultat de la controverse suscitée avant même sa sortie. Le secret de cette controverse appartient à sa maison d’édition. Les premiers journalistes à avoir reçu (l’ont-ils seulement lu ?) le roman en avant-première ont-ils été guidés dans leur lecture par un dossier de presse qui appelait à la polémique ? Mystère.
On connait surtout les critiques de Michel Houellebecq à l’égard de l’islam extraites d’un entretien au Monde (2 et 3 septembre 2001) « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré, effondré ». Cette fois c’est la prophétie de Houellebecq qui semble avoir attiré l’attention du public. L’islam parviendrait, selon ce roman d’anticipation, à s’imposer en France. Pourtant dans un précédent roman d’anticipation mieux inspiré La Possibilité d’une île, autre roman d’anticipation, l’auteur prédisait exactement l’inverse : la chute de l’islam en Occident.
La chute de l’islam en Occident rappelle en fait curieusement celle, quelques décennies plus tôt, du communisme : dans l’un et l’autre cas, le phénomène de reflux devait naître dans les pays d’origine et balayer en quelques années les organisations, pourtant puissantes et richissimes, mises sur pied dans les pays d’accueil. Lorsque les pays arabes, après des années d’un travail de sape fait essentiellement de connexions Internet clandestines et de téléchargement de produits culturels décadents, purent enfin accéder à un mode de vie basé sur la consommation de masse, la liberté sexuelle et les loisirs, l’engouement des populations fut aussi intense et aussi vif qu’il l’avait été, un demi-siècle plus tôt, dans les pays communistes. Le mouvement partit, comme souvent dans l’histoire humaine, de la Palestine, plus précisément d’un refus soudain des jeunes filles palestiniennes de limiter leur existence à la procréation répétée de futurs djihadistes, et de leur désir de profiter de la liberté de mœurs qui était celle de leurs voisines israéliennes. En quelques années, la mutation, portée par la musique techno (comme l’attraction pour le monde capitaliste l’avait été quelques années plus tôt par le rock, et avec une efficacité encore accrue par l’usage du réseau) se répandit à l’ensemble des pays arabes, qui eurent à faire face à une révolte massive de la jeunesse, et ne purent évidemment y parvenir. Il devint alors parfaitement clair, aux yeux des populations occidentales, que les pays musulmans n’avaient été maintenus dans leur foi primitive que par l’ignorance et la contrainte ; privés de leur base arrière, les mouvements islamistes occidentaux s’effondrèrent d’un seul coup
D’autres passages de La Possibilité d’une île sont beaucoup plus violents à l’égard de l’islam sans pour autant qu’une polémique n’éclate à l’époque
La seule prophétie de Michel Houellebecq qui ait approché la réalité concerne une vague de suicides dans la population du 3ème âge centrée sur le corps et l’apparence qui ne supporterait pas les effets du vieillissement. Des hôtels parisiens ont, depuis la sortie du roman, été le théâtre de suicides d’octogénaires en couple (Paris: Un couple d’octogénaires se suicide dans un palace main dans la main).
photo : Tribune de Genève