Davos, le Disneyland des grands

Emmanuel Carrère a écrit un long reportage sur le forum économique de Davos, publié dans XXI en 2012, repris ensuite dans le recueil d’articles Il est avantageux d’avoir où aller. En voici quelques extraits qui mettent dans l’ambiance :

L’importance du badge… à 75000 euros

Pour ce droit, et pour le badge blanc autorisant l’accès au Centre des congrès, où se tiennent conférences et tables rondes, il leur faut acquitter 75000 euros, alors que nous n’avons, nous, que l’humble badge vert à 50 euros permettant de circuler dans l’hôtel Belvédère où se tient le Davos off.

« Comme au marché en bas de chez moi »

…on croise comme au marché d’en bas de chez soi Lakshmi Mittal, Ehud Barak, Pascal Lamy, Arianna Huffington, Muhammad Yunus ou le patron de Google, Éric Schmitt, et aucun barrage n’interdit si on en a l’audace de leur adresser la parole.

L’étouffant positive thinking

Ça nous a étonnés dès le premier jour, le parfum de new age qui baigne ce jamboree de mâles dominants en costumes gris. Au second, il devient entêtant, et au troisième on n’en peut plus, on suffoque dans ce nuage de discours et de slogans tout droit sortis de manuels de développement personnel et de positive thinking. Alors, bien sûr, on n’avait pas besoin de venir jusqu’ici pour se douter que l’optimisme est d’une pratique plus aisée aux heureux du monde qu’à ses gueux, mais son inflation, sa déconnexion de toute expérience ordinaire sont ici tels que l’observateur le plus modéré se retrouve à osciller entre, sur le versant idéaliste, une indignation révolutionnaire, et, sur le versant misanthrope, le sarcasme le plus noir.

Le téléphone portable délégué aux subalternes

Rien dans les mains, rien dans les poches : c’est une philosophie de puissant, et quand nous nous étonnons avec candeur qu’un homme aussi important n’ait même pas de téléphone portable (ou si, un petit Nokia pourri qui lui sert seulement à appeler son chauffeur), Félix nous signale gentiment que c’est à ce trait qu’on reconnaît les gens vraiment importants : s’ils avaient un portable et, pire, s’ils recevaient leurs mails dessus, ça n’en finirait plus, cette fonction est donc déléguée à un subalterne.

Le vrai Davos : les « maquignonnages d’arrière-salle »

 C’est ça, le vrai Davos des maîtres du monde : pas les grands discours nobles du Centre des congrès ni les interviews express en langue de bois ni même les fêtes ultra-fermées de Google ou du New York Times, mais ces maquignonnages d’arrière-salle où on s’entend à demi-mot, entre mécanos du pouvoir. […] Ce coin de table chargé de victuailles et de bouteilles, ces types en bras de chemise aux trognes goguenardes – si loin des figures lisses qu’offrent les Américains : bien sûr, c’est évident, ce à quoi ça ressemble le plus, c’est l’immortelle séquence de la cuisine dans Les Tontons flingueurs !

…Et de rappeler que l’hôtel de La Montagne magique domine Davos

nous décidons d’employer cette journée de quasi-vacance à un pèlerinage littéraire : monter prendre le thé à l’hôtel Schatzalp, décor quasi unique de La Montagne magique, de Thomas Mann.

photo : Fabrice Coffrini

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