Il y a des moments dans nos misérables vies où les mots sont de trop, où nos petits cœurs revêtus de l’armure du quotidien se fendillent devant la cruauté du monde. C’est un de ces moments que j’ai vécu à la lecture du message de Sylvie à laquelle je me suis empressé d’apporter mon soutien.
[Mail reçu le 15/8]
Bonjour cher ,je me nomme Sylvie Willer originaire de la France. J’ai dû vous contacter de cette sorte parce que je souhaite faire une chose très importante. Cela vous semblera un peu suspect bien vrais que vous ne me connaissez pas et que je ne vous connais pas. Je souffre d’un cancer du cerveau qui est en phase terminale, mon médecin traitant vient de m’informer que mes jours sont comptés du fait de mon état de santé dégradé. Selon ce que le Docteur m’a justifié une Boule s’installe présentement dans ma cage cérébrale, j’ai cette maladie depuis plus de 4 ans. Je suis veuve et je n’ai pas eu d’enfant. J’envisage de faire une donation de tous mes biens. J’ai presque vendu mes affaires dont une compagnie d’exportation de bois au canada ou je vis depuis près de 30 ans, une partie de tout cet argent sera versé à différentes associations, et des centres d’aide au orphelins et aux sans abri. Je ne sais pas dans quel domaine d’activité vous exercez mais je souhaiterais vous aider. J’ai en ce moment dans mon compte personnel compte bloqué, la somme de € 2025.000 (deux millions vingt cinq mille euros) que j’avais garder pour un projet de construction. Je serai grée de vous donner cet argent qui pourra vous aider dans votre entreprise, je vous prie d’accepter cela car c’est un don que je vous fait et cela sans rien demander en retour. Je souffre énormément et j’ai très peur, je n’arrive presque pas a dormir la nuit comme la journée car je ne veux pas mourir sans avoir fait don de tout cet argent sinon je pense que cela serait un gâchis. Veuillez me contactez dès que possible si vous êtes d’accord pour mon offre : sylviewiller@yahoo.fr
Que la Paix et la miséricorde de Dieu soient avec vous.
[Ma réponse]
Vous permettez que je vous appelle Sylvie ? Après avoir tant de fois lu et relu votre message, j’ai l’impression de vous connaître comme un pote de régiment. J’ai été très touché par vos problèmes. Et je tenais tout d’abord à vous assurer de tout mon soutien, si ce n’est pas déjà trop tard. N’abandonnez pas, mettez vous du plomb dans la tête (si je puis dire), l’Évangile doit être une leçon pour vous : Résiste, prouve que tu existes (Jean V,7).
Sans faire preuve de fausse modestie, je dois avouer que je suis plutôt adroit de mes mains. Ma voisine pourrait vous le dire : elle avait un problème de verrue au pied. Deux, trois coups de couteau, et plus de verrues, ni de pied droit, c’est vrai… pour un vague problème d’infection. Mais avec un opinel bien aiguisé (et un peu de gnôle la prochaine fois, une femme peut crier fort!), je peux faire des miracles, pensez-y. Et qu’est-ce-qu’une boule dans une cage cérébrale sinon une grosse verrue ? Vous parlez d’aider les orphelins : nous avons de nombreux points communs (car moi aussi j’aime me balader dans les bois, le soir, au clair de lune, et écouter les cerfs brâmer – c’est vrai, on me dit romantique. Et vous appréciez-vous la viande de cerf ?), j’ai en effet, moi aussi, mes bonnes œuvres : j’envoie régulièrement de l’argent aux petits noirs quand je vois qu’ils ont faim à la télé. Mais je ne m’arrête pas là, je m’oblige à finir toutes mes pizzas, en pensant à tous ces petits ventres creux. Et croyez-moi, terminer une pizza savoyarde avec les dents du fond qui baignent, je ne le souhaite à personne.
Mais vous n’allez pas le croire, ce n’est pas tout, nous avons un autre point commun (décidément!) : je suis également veuf !
Ma tendre épouse est décédée lors de l’une de ses missions de parachutiste, tandis que mon unique fils est mort d’avoir oublié de se nourrir devant ses jeux vidéo. On me dit qu’il n’a pas souffert, ça me rassure un peu.
J’espère que vous avez pu constater à quel point nos chemins de vie étaient harmonieusement similaires.
Mon opinel et moi sommes donc prêts à vous venir en aide, et si jamais vous deviez malheureusement trépasser, je suis prêt à créer une fondation à votre nom pour ouvrir des pizzerias à travers toute l’Afrique.
J’espère toutefois pouvoir compter sur votre honnêteté. Je viens d’achever une formation me promettant succès et richesse. Mais rien n’est venu, comprenez que je sois un peu méfiant. Sans parler de ce changement de monnaie auquel je ne me suis jamais fait. Il m’arrive de donner 50 euros à des malheureux (car malgré leur aspect répugnant, ce n’en sont pas moins des créatures de Dieu, n’est-ce pas Sylvie ?) en pensant leur avoir donné 50 anciens francs.
Je comprends que vous en ayez plein la tête, mais ensemble nous pouvons y arriver. En attendant de vos nouvelles chère Sylvie,
Tendrement,
Ray Ponzi
La suite – Gros Pigeon (2/3) : Sylvie aime Dieu qui le lui rend bien mal
La fin – Gros Pigeon (3/3) : Sylvie veut que je lui retire ses biens
Tableau : Le Tricheur à l’as de carreau de Georges de la Tour