Les lignes de Wellington de Valeria Sarmiento et Tabou de Miguel Gomes
Les deux films portugais sortis presque simultanément, bien que très différents, s’éclairent mutuellement.
Les lignes de Wellington – Sans doute le film de l’année au casting le plus impressionnant : John Malkovich, Isabelle Huppert, Matthieu Amalric, Michel Piccoli, Catherine Deneuve, Melvil Poupaud, Elsa Zylberstein, Vincent Perez, Chiara Mastroianni… Mais ne vous y trompez pas, ces célébrités du 7ème art sont présentes pour deux raisons : 1 – un ultime hommage à Raoul Ruiz mort avant d’avoir commencé le film finalement achevé par sa compagne. 2 – un casting pour bande-annonce. La majorité de ces stars, vous ne les verrez que le temps d’une courte scène. La bande-annonce vous aura déjà presque tout dévoilé de la scène où Piccoli, Huppert et Deneuve sont présents. Sitôt vus, sitôt oubliés. Seul Malkovich possède un rôle assez important (le duc Wellington lui-même) pour faire plusieurs apparitions.
Le sujet – la campagne napoléonienne bloquée aux portes de Lisbonne – est intéressant, mais son traitement l’est beaucoup moins. On apprend qu’il y a des salauds jusque chez les gentils et des gentils jusque chez les salauds, que les portugais catholiques qui crient « À bas la liberté » n’ont pas de leçon de morale à recevoir des soldats de l’armée impériale qui pillent la population. Le film baigne ainsi dans un relativisme historique constant. Sans doute par souci de fidélité historique le scénario a-t-il été écrit avec l’obsession de ne pas glorifier ou accabler l’une des deux parties. Mais ce relativisme employé de façon si systématique tourne vite au procédé. Et 2h30 d’un film au sujet intéressant mais employées à nous dire que oui, mais finalement non, finissent par être longues.
Michel Piccoli nous donne la clef de ces deux films dans l’une de ses répliques : « [La saudade ] c’est la nostalgie de ce qui aurait pu être » de ce qui n’est pas advenu, le regret d’une vie que nous aurions pu avoir. Le film en deux parties nous présente d’abord ces âmes esseulées pleines du regret de ceux qui n’ont pas su trouver le bonheur à deux. La seconde partie, plus impressionnante, fait un voyage dans le passé, dans l’empire colonial portugais, l’époque d’un paradis pas encore perdu. Les deux parties sont liées par le souvenir d’un homme. C’est l’histoire millénaire de la femme adultère, du couple qui se cache, des amants qui prennent la fuite. Mais le film vaut surtout pour sa technique de narration. L’histoire nous est contée comme un souvenir : les sensations surnagent. Ce sont des sons isolés (une respiration, le clapotis d’une fontaine, …), des poses écrasées dans la chaleur africaine qui nous parviennent du passé. Le génie du réalisateur a été de focaliser l’attention du spectateur sur ces moments en découplant l’image et le son. Ces sons (rarement des paroles, comme dans un film muet) extraits de la mémoire d’un homme viennent recomposer la trame des regrets de toute une vie.
La fin du film, ses déchirures, son malheur, invitent à une relecture de la première partie : la saudade c’est le regret des histoires d’amour non vécues.