À quel moment les écologistes ont-ils dérapé pour sortir du cadre du développement durable, mettre de côté le fragile équilibre économique/écologique/social et ne plus défendre que l’environnent, parfois au détriment d’enjeux économiques et sociaux ?
Absence de vision sociale –
Le dossier de Notre-Dame-des-Landes, emblématique de nombreux projets d’aménagement du territoire, rencontre l’opposition des écologistes. On parle zone humide, insectes, batraciens, et… très peu de questions sociales.
[Rapport de la commission de dialogue] « Elle saisit cette occasion pour souligner combien la dimension sociale (hors emploi) qui devrait être considérée comme un pilier essentiel du développement durable est occultée dans ce dossier. » (p.21)[1. Rapport de la commission de dialogue NDDL (p.21)]
Les problèmes des 42 000 habitants dans la zone de bruit sont au mieux minorés, le plus souvent occultés. L’intérêt général et le développement durable ont laissé place à l’intérêt strictement écologique (et court-termiste, le développement urbain n’est pas pris en compte).
Des baffes pour mieux comprendre –
L’humanité a bien du mal à comprendre les préceptes écologistes. On va donc lui faire faire rentrer ces concepts à grand coups de tatane dans la tête.
Alain Lipietz lors d’une conférence : « Les américains voudront bien [ratifier les accords internationaux] quand ils auront ramassé leur 4e ou 5e typhon qui aura rasé la Nouvelle-Orléans ou New-York. Il faut que chacun prenne une baffe pour que ça marche, c’est peut-être comme ça que les États-Unis apprendront. »[2. Alain Lipietz – Quel modèle de développement face à la crise écologique ?]
Sans nous appesantir sur la pédagogie proposée par Alain Lipietz (qui semble inopérante dans les urnes : la baffe des 2% aux présidentielles ne l’a pas refroidi), toute la compassion dont il fait preuve à l’égard des victimes (humaines, on ne parle plus de biodiversité) de catastrophes naturelles fait chaud au cœur (à moins que ce ne soit dû au changement climatique ?). Ne croyez pas que seul le peuple américain attire la compassion de Lipietz, les Chinois sont également concernés par son fol amour de l’humanité.
– Toute ressemblance avec le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, et les réactions religieuses qui s’ensuivirent ne saurait être que fortuite. –
L’espèce humaine : un coût pour la planète –
Yves Cochet : un enfant européen a «un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York» [3. L’entourage d’Yves Cochet gêné par le troisième ventre]
En attribuant un coût ou un prix à la vie humaine, les écologistes reproduisent paradoxalement le schéma de pensée d’économistes qu’ils rejettent. J-M Harribey montre bien « l’imprudence avec laquelle certaines notions à la mode mais fragiles intellectuellement sont reprises par certains courants écologistes, croyant bien faire en montrant l’importance de la nature. »[4. Le prétendu prix de la vie par Jean-Marie Harribey
Et où trouve-t-on les prémisses de la notion de « valeur économique des services économiques rendus par la nature » ? Chez Jean-Baptiste Say, fossoyeur de l’économie politique au début du XIXe siècle, et chez Frédéric Bastiat, ultra-libéral de la première moitié du XIXe. Que ces prémisses aient été développées par les économistes néoclassiques ultérieurs n’est pas étonnant car elles permettaient d’éviter de prendre en compte les rapports sociaux dans lesquels l’activité économique se déroulait à des fins de valorisation du capital. Ce qui l’est davantage, c’est l’imprudence avec laquelle certaines notions à la mode mais fragiles intellectuellement sont reprises par certains courants écologistes, croyant bien faire en montrant l’importance de la nature.
Sans la nature, l’homme ne peut rien produire, ni en termes physiques, ni en termes de valeur économique. Mais ce n’est pas elle qui produit la valeur. C’est le paradoxe, incompréhensible en dehors de l’économie politique et de sa critique. S’il devient impératif de respecter les contraintes de ressources, il est erroné de croire que cela pourra se faire à partir de la « valeur économique des services rendus par la nature », car ce qui est appelé ainsi dans la littérature économique est en fait la valeur créée par le travail sur la base des biens naturels utilisés.
Au lieu de gloser sur la vie qui aurait soi-disant un prix, il vaut mieux, à tout prendre s’en remettre au bon vieux dicton : la vie n’a pas de prix mais elle a de la valeur. Oups ! On dit, elle a de la valeur. Mais c’est d’une autre valeur dont on parle, qui n’a rien à voir avec l’économique] Mais faute de prendre en compte les données sociales, les écologistes singent les économistes dans leurs plus grands travers.
On pourrait se réconforter si ces discours venaient de militants radicaux un soir de meeting trop arrosé. Mais ces discours sont portés par des députés européens, têtes pensantes du parti.
Transparence et démocratie : les maîtres-mots de la gouvernance écologiste –
La démocratie participative serait le 4e pilier (après l’économie, l’écologie et le social) du développement durable. À Francfort les écologistes ont tout bonnement ignoré les résultats d’un référendum qui ne leur convenaient pas. Sans aller si loin, Gérald Bronner dans son dernier essai ne dit pas autre chose : en France, aucun des conflits qui ont opposé l’État aux écologistes dans la pose du réseau THT n’ont pu être résolus dans la discussion. Toujours au détriment de la démocratie, de l’intérêt général et de l’argent public (études complémentaires coûteuses, enterrement de lignes, …).
Si transparence il doit y avoir, elle doit concerner l’idéologie du mouvement : le parti EELV est-il favorable au développement durable ou à la décroissance ? La deuxième option politique est possible mais elle doit être assumée devant les électeurs, en toute transparence.
Le choix du développement durable ou de la décroissance agitait déjà les rangs écologistes en 2010[5. La décroissance le mot qui met les écolos en ébullition – Rue89], mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’on en voit les résultats effectifs. Alors « L’humain d’abord après ! » nouveau slogan politique ?
Bonjour Gaetan,
A l’image de vos autres articles, celui-ci met le doigt sur beaucoup d’incohérences entendues ces derniers mois, où le sort des riverains et l’avenir économique d’une région devient un détail face aux autres impératifs. Le développement tenant compte de tous les aspects de l’aménagement du territoire ne semble plus avoir le vent en poupe.
Bien à vous,
Arnaud, de VINCI Airports
Bonjour,
Effectivement, à trop vouloir se focaliser sur un facteur écologique, on dessert l’écologie dans son ensemble et on en oublie toutes les composantes du développement durable.
Ce qui a « le vent en poupe » actuellement dépend en partie des informations qui circulent dans le grand public. Je m’étonne que l’AGO et les collectivités locales n’aient pas été plus actives face à l’agitprop des opposants. Médiatiquement, ils ont réagi avec les réflexes de comm du XXe siècle. Quand les riverains de l’aéroport se plaignent des nuisances en écrivant à leur maire,les opposants inondent les réseaux sociaux de contre-vérités qu’il aurait mieux fallu combattre plutôt que de lancer une campagne d’affichage auprès de nantais déjà convaincus.
« le vent en poupe » parce que la France déprime, qu’elle exagère ses torts (la part de la France dans la pollution mondiale est risible) et ignore ses qualités – que des alsaciens viennent manifester à nddl lorsque de l’autre côté de la frontière se construisent des centrales au charbon, me paraît à cet égard symptomatique –
J’ai reconnu nombre de biais cognitifs chez les opposants, décrits dans l’ouvrage cité de Gérald Bronner : argumentation mille-feuilles, effet d’ancrage, radicalisation au sein du groupe, … Les moyens d’y répondre ne sont pas simples, mais ils existent.
On ne sait jamais pourquoi le vent change de sens, mais il change toujours, souvent parce que les mêmes histoires, trop répétées, lassent, à tort ou à raison. Je ne doute donc pas que l’économie et le social reviennent dans la partie.
Excellente remarque Gaëtan. La dimension sociale du développement durable est souvent passée sous silence par l’écologie politique. On pourrait ajouter, concernant Nddl, que la sanctuarisation aveugle de terres dans une zone économiquement défavorisée, va un peu plus accentuer le désarroi des générations qui arrivent sur le marché du travail. Générations de plus en plus nombreuses (les écoles explosent dans la troisième couronne de Nantes, où sont repoussées les populations les plus fragiles). Mais cela ne semble pas effleurer les opposants, dont on a pu constater la désinvolture, voire le mépris à l’égard des autochtones qui ne partagent pas leur point de vue.
En effet, pour reprendre les mots de Gérald Bronner (que je cite à tout-va) le précautionnisme fait toujours des victimes invisibles : les jeunes qui ne trouveraient pas de travail à Nddl ou les familles du Sud-Loire qu’on enverrait en 3e couronne faute de nouveaux logements à l’intérieur du périphérique.