Homère, le père Noël et moi (I)

Quelle joie d’étudier l’Odyssée d’Homère en 6ème… de l’aventure, des personnages et créatures extraordinaires, des pays tous plus exotiques les uns que les autres, un héros téméraire…
Non, c’est pas vraiment ça… ça ressemblerait plutôt à « j’comprends rien… », ou beaucoup plus drôle -le talent n’attend pas le nombre des années- « Homère, comme dans les Simpson! »
Alors on s’acharne, on essaie d’y croire que le niveau baisse pas.
– Quelle est la partie que tu ne comprends pas ?
– Bah… tout !
On reprend les chapitres les uns après les autres.
– Qui a compris ce passage ?
Oui, on avance, on avance, courage…
On avance, mais on s’ennuie…
Vite, vite, mettre l’apprenant en activité, il ne faudrait pas qu’ils s’ennuient ces petits, c’est un coup que la môman d’un de ces chérubins s’insurge contre mes pratiques pédagogiques… donc on zappe, comme à la maison devant la télé, et comme l’IUFM me l’a bien appris : un élève qui s’agite a besoin de bouger. Du théâtre alors ? Difficile, notre Ulysse est sur son navire dans la tempête. Je leur ferais bien faire le vent… tous souffler dans le même sens pendant vingt minutes, ça pourrait en épuiser quelques uns. Fin de cours paisible : plus de souffle, plus de bavardages, plus de bruit… Reste plus qu’à justifier l’exercice… au nom d’un enseignement transversal ? J’ai pas pensé à prévenir le prof de sport, ça va faire louche. J’abandonne l’idée.
Les bavardages se font de moins en moins discrets, je sors la botte secrète du prof qui veut voir travailler ses élèves et se délasser un peu les jambes entre les rangs.
– Sortez une feuille : rédaction, j’en ramasserai quelques unes…
Quelques unes pas toutes… marre de se coucher à pas d’heure pour corriger des copies illisibles qui me parlent de jeux vidéos.
– Le sujet …
Et c’est là ce qui fait de toi un bon ou un mauvais prof : la capacité à inventer un sujet bidon que ton inspecteur pédagogique pourra qualifier de tous les mots savants qu’il faut pour définir la visée de l’exercice et sa problématique. Tous les mots que tu connais plus et c’est pour ça que t’es pas inspecteur.
– Le sujet… Transformez ce passage de façon à expliquer le naufrage par des causes naturelles et non plus divines.
– Des questions ?
S’il y a la moindre trace d’un Jordan ou d’un Steven dans la classe, c’est le moment de les observer du coin de l’œil : s’ils ont compris, toute la classe a compris.
La tête baissée sur leurs copies, ils se mettent au travail. Je circule consciencieusement entre les élèves qui pourraient avoir des difficultés.
Et je pourrais presque m’ennuyer à mon tour si la surveillance des enfants c’était pas ma grande passion.
Mais Zeus est venu à mon secours, et une question providentielle est arrivée jusqu’à moi.
– Oui Camil… une question ?
– Mais monsieur… euh
Je vois que ça s’agite dans sa tête, mais on est à l’école pour ça, donc je vais pas achever la séance de torture comme ça. C’est le sujet qui semble lui poser problème : comment remplacer les dieux par des causes naturelles. Du mal à imaginer une tempête ? Brainstorming, tempête dans un cerveau, c’est maintenant, c’est sous mes yeux. Les marins connaissent la tempête, moi j’aurai vu Camil devant sa copie.
– … mais les dieux… ILS EXISTENT !
– …

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