De bons citoyens autoproclamés ont toujours su gagner leur pain comme délateurs professionnels. Les Grecs ont donné un nom à ces courageux individus qui tiraient fortune de ceux qu’ils dénonçaient : les sycophantes. L’étymologie[1. Sycophante – Wikipédia] nous enseigne que ces bons samaritains avaient pour cible les exportateurs illégaux de figues, autant dire que le faible gain importait davantage que la cause à défendre.
Ces sycophantes ont connu de nombreux successeurs. L’affaire Iscariote ou la 2ème guerre mondiale ont quelque peu terni leur image mais n’ont pas découragé les vocations.
Edward Snowden : naïf informaticien ou bon communicant ?
Prendre conscience une fois embauché par la sécurité américaine (NSA) que ses échanges via Google ou les réseaux sociaux sont accessibles, c’est un peu tard… Edward Snowden a été l’apprenti boucher qui découvre qu’il ne supporte pas la vue du sang.
Taper des lignes de code ne lui aura probablement pas laissé assez de temps pour ouvrir les journaux et découvrir que le système d’espionnage Prism, était depuis longtemps connu sous le nom d’Échelon[2. Snowden : on savait déjà tout. Et Barroso ? – Mediapart Le Club]. Être un peu plus ouvert sur le monde et son actualité lui aurait sans doute évité d’être de ces Tartufe, à commencer par les chefs d’État déjà avisés de la situation, qui se sont émus qu’un gendarme (NSA) en sache autant sur vous que votre facteur (Google[3. Un site web révèle vos métadonnées Gmail – Le Soir], Facebook[4. Comment Facebook peut choper votre numéro de portable – Neon], …).
Héros le temps d’un clic de souris, les convictions libertaires d’Edward Snowden ont depuis quelque peu été revues à la baisse, au point de demander l’asile politique à la Russie de Poutine.
Journaliste justicier
Daniel Schneidermann touche souvent juste dans ses critiques vis à vis de ses confrères : « Les politiques n’ayant plus de pouvoir sur rien, pourquoi les écouterait-on disserter ? Contemplons-les plutôt comme des personnages de tragicomédie, ou cherchons à les pincer la main dans la caisse.[5. Quand Alain Duhamel répudie la politique – Daniel Schneidermann dans Libération] » – Libération
Dans le journalisme peut-être plus qu’ailleurs, la mode est donc à la délation : on dénonce plus qu’on explique, on condamne plus qu’on analyse. On dénonce le politicien qui enfreint la loi, mais que la justice vienne à condamner le journaliste, et Mediapart fera signer une pétition pour appeler à changer la loi.
« Je ne suis pas un journaliste de gauche : je n’ai jamais dénoncé personne » Guy Debord
Nous ne sommes ni meilleurs, ni pires que nos aînés, nous n’avons même pas ce privilège. Pas plus de pourris que de sycophantes qu’il y a 10 ou 50 ans, …. simplement davantage de transparence et une information soumise à davantage de concurrence qui encourage les sycophantes au détriment des analystes.
Les Mains sales de Sartre met en scène cette opposition ancestrale…
entre un pragmatiste (Hoederer) et un idéaliste (Hugo), entre un matérialiste qui mène une politique prête aux compromis et un idéaliste isolé incapable d’agir dans le monde. Il n’est pas insignifiant que les plus jeunes de nos lecteurs voient un héros dans l’idéaliste Hugo le personnage qui a « les mains pures mais pas de mains » pour reprendre un mot de Péguy.
La position de Sartre est plus complexe : elle réfute la position solipsiste d’un Hugo ou d’un Snowden, individualistes forcenés incapables d’agir dans le monde (Voir à ce sujet le portrait de Snowden[6. Edward Snowden l’homme invisible – Le Monde]). Sartre ne résout rien, ne choisit pas, il exclue seulement les solutions proposées : ni compromission, ni pureté absolue, mais recherche d’une position médiane.
L’époque, avide de pureté, aime ce spectateur fier de ses mains propres et de son discours moralisant. Mais des mains sales s’activent dans la salle des machines et le navire avance.
La NSA est toujours dans le viseur des associations luttant contre le recueil de données privées, mais hors du champ médiatique ces données continuent d’être subtilisées.
La preuve avec cette infographie de Courrier International
Infographie Brèches Informatiques
Les mystères de l’informatique ne m’ont autorisé à découvrir ce papier que sur le tard. Assez d’accord avec la substance . Des formules un peu sévères : « Edward Snowden a été l’apprenti boucher qui découvre qu’il ne supporte pas la vue du sang. » Mais dans l’ensemble, ce que l’on appelait par le passé le « journalisme de photocopieuse » assez prisé par Plenel (cf La face cachée du Monde) ne m’a jamais convaincu. Souvent laissé en bouche un goût étrange.
Avec la circulation incontrôlée (incontrôlable ?) des données, on s’expose de plus en plus à l’instrumentalisation de certaines révélations. Une question souvent pertinente : « pourquoi aujourd’hui ? »
La formule est sans doute un peu sévère à l’égard de Snowden, mais je ne reviens toujours pas de sa naïveté, sans doute en partie imputable aux nouvelles façons de consommer l’information. Contrairement au journal papier qui invite malgré tout à s’intéresser à plus d’un sujet, on peut s’informer sur Internet, passer des heures devant un écran sans accéder aux informations généralistes.
Je ne me rappelais plus de « La face cachée du Monde », simplement le souvenir de débats qui ont suivi et de critiques concernant un journal qui abandonnait justement l’analyse au profit de l’investigation. Le chemin qu’a pris Plenel devait leur donner raison.
Le « pourquoi aujourd’hui ? » est une bonne question que je ne m’étais pas posée, par peur de tomber dans le complotisme ?
Les gouvernements se sont manifestés à ce sujet, mais les premières concernées, les entreprises privées qui n’ignoraient rien du problème sont restées silencieuses : l’espionnage électronique est déjà connu et pris en compte.
Le « pourquoi aujourd’hui » aurait donc sa réponse dans la politique internationale qui a pu jouer avec le pion Snowden… le sujet d’un prochain roman pour John Le Carré ?
Xavier de la Porte sur France Culture n’a pas hésité, par jeu, à céder au complotisme
http://www.franceculture.fr/numerique/et-si-laffaire-snowden-profitait-aux-etats-unis
Résultat : Les États-Unis s’en sortent plutôt bien en apparaissant plus puissants que jamais