Intellectuels de gauche : plus à l’aise dans l’opposition ?

Les intellectuels de gauche n’aiment ni le pouvoir, ni la gauche au pouvoir semble-t-il. Tiraillés entre exigence critique et soutien poli, certains désertent provisoirement les débats publics, quand d’autres virent plus radicalement vers d’autres horizons politiques.

Roland Barthes, Emmanuel Todd et Jacques Sapir sont chacun dans leurs domaines les représentants de cette gauche plus embarrassée que réjouie de ne plus appartenir à l’opposition. Leurs parcours intellectuels et politiques sans être emblématiques de l’intelligentsia française, témoignent de ses états d’âme ou de ses retournements.

Roland Barthes et la parenthèse marocaine

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En 68, soufflait un petit vent de de révolution que Roland Barthes et ses Mythologies, oeuvre culte de dénonciation des valeurs bourgeoises,  avait contribué à attiser. Mais les répercussions sociales qui s’ensuivirent ne retinrent pas l’intellectuel : Roland Barthes préféra prendre ses distances et filer de l’autre côté de la Méditerranée, au Maroc, où il partit enseigner de 69 à 70 dans l’université de Rabat.

Prendre du champ, c’est une solution pour ne plus prendre part aux querelles idéologiques du moment, laisser le flot des événements passer loin de soi. Antoine Compagnon classera Roland Barthes du côté des antimodernes. Pas conservateur ou réactionnaire, simplement antimoderne. « Les antimodernes ont donné la liberté aux modernes » note Antoine Compagnon. Roland Barthes « à l’arrière-garde de l’avant-garde » où il aimait se situer, aura contribué à la formation de l’esprit de 68 mais n’y aura pas pris part.

 Emmanuel Todd l’abstentionniste

Emmanuel Todd est souvent mis en avant comme le prophète de la fin de l’URSS (en creusant un peu, d’autres intellectuels l’avaient également prédit – notamment Carrère d’Encausse – sans en faire une marque de fabrique). On fait depuis appel à lui comme à la Pythie pour pronostiquer l’avenir politique de l’Europe. Si l’on en croit ses derniers oracles l’euro ne devait pas survivre à 2011 (« Je serais très étonné que l’euro survive à 2011 ») et le FN ne ferait plus parler de lui en 2012  (Quand Emmanuel Todd prédisait qu’on ne parlerait plus du FN après 2012)… La machine semble s’être enrayée.

Emmanuel Todd n’a pas pris ses distances avec l’actualité européenne et commente toujours les soubresauts de la  politique.

À la veille des élections européennes qui allait voir le Front National remporter des scores européens, E. Todd déclarait qu’il n’irait pas voter pour « dénoncer le Front National en mettant en évidence son appartenance au système » (« Non je n’irai pas voter »). Comprenne qui pourra

Jacques Sapir, de l’autre côté du miroir

Économiste et russophile, soutien de Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles, Jacques Sapir publie régulièrement des notes sur son blog mais également pour les médias étrangers. C’est le cas de l’article « Pourquoi les français ont voté pour le Front National » (Economist Jacques Sapir: Why the French Voted for the National Front)] d’abord paru dans un média russe avant d’être traduit en anglais.

On peut être assez troublé par l’éloge (il ne s’agit évidemment pas seulement d’une analyse) dont Jacques Sapir gratifie le Front National.

J. Sapir affirme donc « assumer parfaitement »… mais pas au point de mettre en ligne la traduction de son article. On ne voudrait pas voir d’après lui que le FN est « plus réaliste, mature, fiable et responsable ». La suite du panégyrique se trouve ici.

Le Front National s’était chargé de l’entreprise de dédiabolisation, il fallait attendre qu’un intellectuel classé à gauche de la gauche finisse par encenser le parti des Le Pen.

photos : France Culture

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